L’élevage est une ressource très importante en République centrafricaine. Il représente environ 15% du produit intérieur brut et emploie 35% de la population rurale du pays, selon une récente enquête de l’ICG, l’International Crisis Group publiée le 28 mai.
Mais, depuis plusieurs décennies, le secteur est impacté par les conflits armés dans le pays et de nouvelles dynamiques se construisent autour des violences liées à cette activité entre les éleveurs et les agriculteurs. Le rapport de l’International Crisis Group est le résultat d’une enquête de terrain de 2 ans, dont les conclusions relèvent une évolution de la pratique devenue un enjeu sécuritaire qui va au-delà des agriculteurs et des éleveurs.
Le rapport pointe du doigt la militarisation de la transhumance ces dix dernières années, l’État ayant considéré cette activité comme une menace et comme un enjeu de souveraineté. Cela a conduit à l’abandon des premiers acteurs du secteur, c’est-à-dire les agriculteurs et les éleveurs, mais aussi des territoires et infrastructures de transhumance ; ce qui pousse « les éleveurs à déserter les routes, favorisant le passage du bétail dans les champs des populations sédentaires, au risque de représailles », peut-on lire dans le rapport.
Autre point essentiel relevé dans le document, la transhumance connue en tant que mode de vie culturelle et identitaire est en train de glisser vers une pratique beaucoup plus économique spéculative avec ceux que l’ICG appelle les néo-éleveurs, ces entrepreneurs pastoraux qui confient le transport de leur bétail à des pasteurs employés pour cette tâche. Des transhumants armés par ces propriétaires pour assurer la protection des troupeaux. Ce procédé beaucoup plus répandu au Tchad voisin, s’installe aussi de plus en plus en Centrafrique et il implique des hommes d’affaires, des politiques, des notables, des membres du gouvernement et des cadres de l’armée, selon l’ICG. Une nouvelle dynamique qui donne une autre dimension aux violences liées à la transhumance en République centrafricaine.
Le rapport note aussi l’afflux d’éleveurs étrangers. En plus des transhumants habituels qui parcouraient les couloirs centrafricains, il faut désormais compter avec les transhumants venus du Sahel, notamment du Niger, de la Mauritanie, mais aussi du Nigeria.
Comme pistes de solutions, l’ICG propose une dépolitisation de la transhumance en redonnant un cadre de dialogue aux premiers acteurs concernés. Et pour ça, Fulbert Ngodji, chercheur Afrique centrale au sein de l’ICG, couvrant la Centrafrique et le Tchad prend l’exemple du Réseau Billital Maroobé qui existe au Sahel. «C’est une association d’éleveurs qui pèse sur les politiques publiques liées à l’élevage comme une composante de l’économie de leurs pays. Nous pensons que la Centrafrique pourrait jouer ce rôle en Afrique centrale», souligne-t-il. Fulbert Ngodji exhorte aussi les autorités centrafricaines à réhabiliter les infrastructures de transhumance, notamment les centres de vaccinations pour les animaux ; mais aussi à répondre aux besoins essentiels des populations vivants de la transhumance, en faisant fonctionner les centres de santé, les écoles avec les recettes des taxes perçues par l’État sur l’activité pastorale, car «il faut que les populations perçoivent la transhumance comme un moyen de changer leur vie», ajoute Fulbert Ngodji.
Invité : Fulbert Ngodji, chercheur Afrique centrale au sein de l’ICG, l’International crisis group, couvrant la Centrafrique et le Tchad.
Reportage : Rolf Steve Domia Leu est allé à la rencontre des acteurs de la transhumance dans le marché à bétail de Bouboui près de Bangui.
Radio partenaire : Radio Milo FM de Mandiana en Guinée.
Programmation musicale : Protoje, Big 45.