Dans un pays, le Mali, où tant de jeunes sont morts, depuis mars 1991, pour la démocratie, dissoudre purement et simplement les partis politiques, avant d'avoir pensé, ensemble, l'avenir, n'a rien de rassurant. À bien des égards, cela revient à miser sur l'apathie, sinon la résignation de ce peuple. Une méprise. C’est par un décret, lu à la télévision nationale, ce 13 mai, que le pouvoir de Bamako a dissous les partis et organisations politiques du Mali. Peut-on, comme le font certains, assimiler cette décision à celle de Brice Oligui Nguema, qui a annoncé aux chefs de partis, ce 6 mai à Libreville, des réformes visant à réduire le nombre des formations, avec des critères plus contraignants pour la création d’un parti au Gabon ?Entre la démarche de la junte malienne et celle du président élu du Gabon, aucune comparaison possible. D’un côté, un pouvoir militaire sans l’onction démocratique se débarrasse de ce qui le gêne ou ne lui convient pas dans la vie politique. De l’autre, un président, certes, également parvenu au pouvoir par un putsch, mais qui a attendu d’être réhabilité par le suffrage universel pour engager – seulement engager – des consultations visant à réduire, sur la base de critères plus rigoureux, le nombre de formations. Pour le reste, la pléthore de partis politiques est préoccupante, au Mali, comme au Gabon et dans bien trop de pays africains.Trois cents partis pour 23 millions d’habitants, au Mali ; quelque 106 formations, pour seulement 2 millions d’âmes, au Gabon. C’est d’autant plus affligeant que, dans la réalité, la part de la population adhérant effectivement à ces partis représente rarement plus de 10% de l’ensemble. Mettre de l’ordre dans ce capharnaüm relève de la salubrité publique. Et, justement parce qu’il s’agit de salubrité publique, ce ne peut être l’œuvre, unilatérale, du seul pouvoir du moment, a fortiori lorsqu'il est issu d’un putsch. Pour emporter l’adhésion de tous, les décisions qui engagent autant une nation requièrent un minimum de consensus. N'est-ce pas ce que suggérait, cette semaine sur RFI, l’avocat malien Mamadou Ismaïla Konaté, qui s’interrogeait sur les motivations du général Assimi Goïta ?Maître Mamadou Ismaïla Konaté est un sujet brillant, articulé et d’autant plus crédible que nul ne lui connaît d’affiliation politique. Ancien Garde des Sceaux, il est un des rares ministres à avoir eu, durant la présidence d’Ibrahim Boubacar Keïta, le courage de démissionner, quand les autres se faisaient congédier. Ces dernières années, sur les réseaux sociaux, pendant que beaucoup se taisaient, lui rappelait aux inconditionnels de la junte le côté risible de certaines de leurs incohérences. Comme lui, beaucoup se demandent en quoi, concrètement, la suppression des partis politiques sert les intérêts du peuple malien.À lire aussiMali: après la dissolution des partis, les réformes vont se poursuivre, la «résistance» s'organiseLa démarche des Gabonais semble bien plus cohérente, qui laisse à un président élu l’autorité, non pas pour tout abolir, mais pour engager des consultations (et un chantier) visant à assainir cet environnement, sur des bases rigoureuses, pour plus de représentativité des partis, d’ici aux législatives.Ces restrictions ne sont-elles pas, par essence, un frein à la liberté ?Aux États-Unis, pays de quelque 340 millions d’habitants, la vie politique est régie par deux grandes formations. Certes, il y en a quatre, dits « partis tiers », et une petite trentaine, périphériques, dits « partis nationaux », mais dont on ne parle qu’accidentellement sur l’échiquier politique. À part quelques grandes déceptions survenues ces derniers temps, la démocratie américaine fonctionne, en général, plutôt bien. Au Nigeria, pays de 230 millions d’âmes, deux partis dominent la vie politique, en plus d'une petite dizaine de formations végétatives. On pourrait aussi citer le Ghana, 33 millions d’habitants et seulement deux partis politiques majeurs. La démocratie y est vivante, davantage que dans toutes ces nations africaines où chaque groupe ethnique, chaque région dispose de « son » parti. Assainir cette jungle est un impératif. Mais, en la matière, les réformes durables et bénéfiques sont celles qui s’appuient sur un vaste consensus démocratique. Ce que déplorent les Maliens, c’est que, d’autorité, une junte démolisse tout, sans avoir pensé l’avenir. Un peu comme dans ces armées où on ne commence à réfléchir qu’une fois le coup de feu parti. Dans un pays où tant de jeunes sont morts, depuis mars 1991, pour la démocratie, cette méthode est juste consternante.
続きを読む
一部表示